
Les dirigeants chinois d'aujourd'hui, héritiers d'un pouvoir qui se décida à faire parler la poudre contre les manifestants de Tiananmen le 4 juin 1989, continuent de justifier la répression militaire d'alors au nom de la préservation de la "stabilité" du pays. Pour eux, la mise au pas brutale de ce "printemps de Pékin" avorté aurait permis de créer les conditions du "miracle" ultérieur en muselant un débat politique interne.
Il est difficile d'imaginer ce que la Chine serait devenue si ce débat en cours à l'époque, avec ce qu'il supposait d'extension des espaces de liberté, s'était prolongé en parallèle avec la poursuite des réformes vers l'économie de marché. Rien ne permet en tout cas de prouver que la réussite de la Chine n'aurait pas été soluble dans la démocratie : l'empire du Milieu pesant le poids que l'on sait, il y a fort à parier qu'il serait nécessairement devenu une puissance économique d'importance. Il y a cependant une chose dont on peut être certain : l'"incident du 4 juin", pour reprendre la terminologie pékinoise, a marqué une rupture fondamentale et préparé la terrain à ce qu'est devenue la Chine en ce début de XXIe siècle.
Avec deux décennies de recul, alors qu'on a beaucoup évoqué le 20e anniversaire de cette tragédie - sauf, bien sûr, en Chine -, il faut se rappeler que la façon dont la crise du printemps 1989 a été gérée par le pouvoir fut le prélude à des choix politiques et économiques dont les effets perdurent. La Chine de 2009, en dépit des bouleversements sociaux et des
transformations foudroyantes que le pays a connus en vingt ans, ne serait pas ce qu'elle est devenue sans les décisions prises après cette étrange parenthèse, où le pouvoir communiste avait vacillé. Comme dit le spécialiste américain des questions économiques chinoises Barry Naughton, professeur à l'université de San Diego (Californie), "la crise politique de juin 1989 a été le catalyseur de la transition économique".
Un rappel : si les étudiants, suivis ensuite par une partie des ouvriers et des simples citoyens, ont manifesté alors contre le régime, ce n'est pas seulement - et surtout pas au début - parce qu'ils exigeaient la démocratie, la fin du parti unique et le renversement du système. Le mot d'ordre prodémocratique a surgi plus tard au cours d'un mouvement qui avait cristallisé la colère des Chinois contre la montée des prix et les excès de la corruption des cadres. Cela à un moment, comme le souligne encore M. Naughton, qui a participé récemment à Hongkong à une conférence organisée par le Centre d'études français sur la Chine contemporaine (CEFC) à l'occasion du 20e anniversaire de Tiananmen, "où les responsables chinois (des années 1980) étaient à la recherche d'un modèle viable de réforme économique" dans le cadre d'une réforme " caractérisée comme décentralisatrice".
En revanche, poursuit l'économiste, les successeurs de l'infortuné secrétaire général du Parti communiste, le réformateur Zhao Ziyang, qui fut éliminé après le 4 juin, "ont imposé une uniformité en matière de choix et de processus politiques" et se sont prononcés pour "une société marquée par le renforcement du Parti communiste sur la propriété publique et la prise de décisions". Là où Zhao voulait entrouvrir les portes et laisser passer de l'air - notamment en retirant au PCC la gestion quotidienne de l'économie pour la transférer aux entreprises -, le "petit timonier" Deng Xiaoping décida, en 1993, après la relance des réformes, d'opter pour une recentralisation et une politique économique peu soucieuse du coût social : restructurations des entreprises, pertes d'emplois pour des millions d'ouvriers, fin du système d'assistanat généralisé (soins gratuits, logements à bas prix et fournitures de première nécessité subventionnées)...
Parce que l'écartement de Zhao Ziyang et le massacre du 4 juin étaient intervenus à un moment où les luttes au sommet de l'appareil du parti atteignaient leur paroxysme, la période qui s'ouvrit après 1989 marqua, dans un premier temps, la fin simultanée du débat politique et la suspension des réformes économiques. Quand elles redémarrèrent, en 1993, ce fut sur un mode inédit. Après le 4 juin, Deng réussit à se débarrasser des réformateurs qui ferraillaient pour une ouverture du système sur le plan politique. Plus tard, il marginalisa les orthodoxes post-maoïstes effrayés par les perspectives d'une libéralisation de l'économie...
Cette double victoire de l'"architecte" du "socialisme aux caractéristiques chinoises" a permis d'emmener la Chine sur la voie du capitalisme d'Etat tel qu'on le connaît aujourd'hui. Ses successeurs ont réussi à dégraisser les entreprises d'Etat au prix de licenciements massifs - ce que leurs prédécesseurs des années 1980 n'auraient pas osé faire -, de continuer à sortir de la pauvreté des dizaines de millions de personnes, tout en laissant une classe "prédatrice" liée au pouvoir profiter de la majorité de la richesse accumulée.
Au début des années 1990, une Chine sans perspectives réelles de réformes politiques à court terme a éclos et le pacte social entre les profiteurs de la croissance et le parti a tenu bon : vingt ans plus tard, la réussite des "liquidateurs" du printemps de Tiananmen demeure incontestée.
Autore: Bruno Philip
Fonte: www.lemonde.fr
Il est difficile d'imaginer ce que la Chine serait devenue si ce débat en cours à l'époque, avec ce qu'il supposait d'extension des espaces de liberté, s'était prolongé en parallèle avec la poursuite des réformes vers l'économie de marché. Rien ne permet en tout cas de prouver que la réussite de la Chine n'aurait pas été soluble dans la démocratie : l'empire du Milieu pesant le poids que l'on sait, il y a fort à parier qu'il serait nécessairement devenu une puissance économique d'importance. Il y a cependant une chose dont on peut être certain : l'"incident du 4 juin", pour reprendre la terminologie pékinoise, a marqué une rupture fondamentale et préparé la terrain à ce qu'est devenue la Chine en ce début de XXIe siècle.
Avec deux décennies de recul, alors qu'on a beaucoup évoqué le 20e anniversaire de cette tragédie - sauf, bien sûr, en Chine -, il faut se rappeler que la façon dont la crise du printemps 1989 a été gérée par le pouvoir fut le prélude à des choix politiques et économiques dont les effets perdurent. La Chine de 2009, en dépit des bouleversements sociaux et des
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Un rappel : si les étudiants, suivis ensuite par une partie des ouvriers et des simples citoyens, ont manifesté alors contre le régime, ce n'est pas seulement - et surtout pas au début - parce qu'ils exigeaient la démocratie, la fin du parti unique et le renversement du système. Le mot d'ordre prodémocratique a surgi plus tard au cours d'un mouvement qui avait cristallisé la colère des Chinois contre la montée des prix et les excès de la corruption des cadres. Cela à un moment, comme le souligne encore M. Naughton, qui a participé récemment à Hongkong à une conférence organisée par le Centre d'études français sur la Chine contemporaine (CEFC) à l'occasion du 20e anniversaire de Tiananmen, "où les responsables chinois (des années 1980) étaient à la recherche d'un modèle viable de réforme économique" dans le cadre d'une réforme " caractérisée comme décentralisatrice".
En revanche, poursuit l'économiste, les successeurs de l'infortuné secrétaire général du Parti communiste, le réformateur Zhao Ziyang, qui fut éliminé après le 4 juin, "ont imposé une uniformité en matière de choix et de processus politiques" et se sont prononcés pour "une société marquée par le renforcement du Parti communiste sur la propriété publique et la prise de décisions". Là où Zhao voulait entrouvrir les portes et laisser passer de l'air - notamment en retirant au PCC la gestion quotidienne de l'économie pour la transférer aux entreprises -, le "petit timonier" Deng Xiaoping décida, en 1993, après la relance des réformes, d'opter pour une recentralisation et une politique économique peu soucieuse du coût social : restructurations des entreprises, pertes d'emplois pour des millions d'ouvriers, fin du système d'assistanat généralisé (soins gratuits, logements à bas prix et fournitures de première nécessité subventionnées)...
Parce que l'écartement de Zhao Ziyang et le massacre du 4 juin étaient intervenus à un moment où les luttes au sommet de l'appareil du parti atteignaient leur paroxysme, la période qui s'ouvrit après 1989 marqua, dans un premier temps, la fin simultanée du débat politique et la suspension des réformes économiques. Quand elles redémarrèrent, en 1993, ce fut sur un mode inédit. Après le 4 juin, Deng réussit à se débarrasser des réformateurs qui ferraillaient pour une ouverture du système sur le plan politique. Plus tard, il marginalisa les orthodoxes post-maoïstes effrayés par les perspectives d'une libéralisation de l'économie...

Au début des années 1990, une Chine sans perspectives réelles de réformes politiques à court terme a éclos et le pacte social entre les profiteurs de la croissance et le parti a tenu bon : vingt ans plus tard, la réussite des "liquidateurs" du printemps de Tiananmen demeure incontestée.
Autore: Bruno Philip
Fonte: www.lemonde.fr
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